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Corps et Esprit : approches occidentales et chinoises

L’opposition Corps/Esprit est un couple fondamental de la pensée en occident.1
Cette dualité présente à la naissance de la philosophie grecque oriente encore aujourd’hui la plupart des approches de soins proposées dans nos pays.
Ainsi pour un problème du corps, on verra un médecin, pour un problème de l’esprit on verra un psychologue.
Il existe certes des psychiatres, des médecins spécialisés dans la santé mentale, mais l’approche dominante en psychiatrie, faut il le rappeler, est une approche corporelle.
Un antidépresseur, ça agit, par exemple, sur l’expression d’un neurotransmetteur.2
Le trouble ici, clairement, est envisagé, du côté du corps, et l’esprit n’est considéré que sous cet angle, à tel point que parfois on peut être amené à penser qu’il n’y a pas d’Esprit, il n’y a que du Corps.

Cette approche très matérialiste (qui est tout à fait défendable dans une démarche purement scientifique… on ne peut attester que du corps) est assez dominante aujourd’hui.
Pour délégitimiser un mal ne dit on pas, d’ailleurs, « c’est psychosomatique, » ou pire « c’est psychologique », sous entendu « ça n’est rien »…

Cette valeur supérieure prêtée au corps n’a pas toujours été en Occident.

Chez Platon, Descartes ou pour partie dans la tradition chrétienne, le Corps n’est rien et l’Esprit est tout.
Ainsi St Paul invite à vivre selon l’Esprit (pneuma) et non la Chair (sarx).

« …la chair [ici] désigne le mode « faible » de vivre soumis à la mort et au meurtre, le pneuma désigne un autre mode de vie qui est justement libéré et de la mort et du meurtre ».3

Certes la Chair n’est pas le Corps, mais elle y renvoie.

On argumentera pour défendre St Paul que pour lui le « Corps est le temple de L’Esprit »4 mais cette vision ne fait que corroborer la « vassalisation » du Corps face à l’Esprit.

Car à travers la formule paulinienne, il apparaît clairement que c’est bien l’Esprit qui donne sa valeur au Corps, et que, en soi, ce dernier seul n’est rien (un temple sans dieu).
Bref, il y a bien ici aussi une hiérarchie et une séparation entre le Corps et l’Esprit.

Peu importe en définitive sous quel ordre cette dominance s’organise.

Ce qui est significatif, c’est qu’en Occident, il y a une incapacité à saisir conjointement Corps et Esprit.
Si l’on a l’un, on perd l’autre et inversement.

Sous quelque manière que l’on regarde la chose, on n’arrive pas à penser le Corps et l’Esprit autrement que comme des substances hétérogènes.

C’est toute la différence avec la philosophie chinoise et par extension la Médecine Traditionnelle Chinoise (MTC).

« … l’unité du corps et de l’esprit est une caractéristique distinctive et centrale en médecine chinoise. L’Esprit n’est pas quelque chose qui ‘anime’ le Corps, mais le Corps et l’Esprit ne sont rien d’autre que deux états différents de condensation et d’agrégation du Qi ».5

Dans l’optique chinoise, nous ne sommes plus dans un dualisme mais dans un polarisme

« c’est à dire la symbiose et l’unité de deux processus organiques (contraires), chacun faisant de l’autre une condition nécessaire à ce qu’il est. »6

Cette conception modifie profondément la manière dont le Corps et l’Esprit peuvent s’articuler.
Puisque le Corps et l’Esprit sont tous deux du Qi, il est logique que ce qui affecte l’un affecte l’autre et inversement.

De la sorte, pour les Chinois, il y a une véritable continuité entre le corps et l’esprit et entre l’esprit et le corps et par la même affecter un trouble à un champ strictement corporel ou psychique n’a pas de sens.

Il existe certes dans la compréhension occidentale des interactions entre le Corps et l’Esprit mais

« la vision occidentale de la relation corps-esprit est essentiellement vue sous forme pyramidale, avec l’esprit au sommet, le corps à la base. En d’autres termes, les stimuli émotionnels produisent un changement dans le système nerveux autonome qui va affecter le viscère. En médecine chinoise, par contre, il y a une interaction à double sens entre le Cerveau (ou l’Esprit du Coeur et les viscères : des stimuli émotionnels qui affectent l’Esprit peuvent provoquer un déséquilibre des viscères et inversement, un déséquilibre des viscères peut provoquer un déséquilibre émotionnel. »7

Autrement dit en MTC, tout est psycho-somatique ou somato-psychique.

Ainsi la médecine chinoise répertorie 5 (parfois 7) grandes émotions qui entretiennent une relation particulière aux organes.
Celles-ci quand elles sont physiologiques soutiennent le Qi de l’organe associé, et quand elles sont «pathologiques» viennent à le perturber.

Il est à noté que ce qui est affecté c’est le Qi de l’organe.
Le Qi dans sa dimension Yin c’est-à-dire plus matérielle (manifestée à travers une lésion, une grosseur etc…), ou dans sa dimension yang, c’est-à-dire plus fonctionnelle.
Une colère sans issue causera par exemple une stagnation de Qi du Foie.
À l’inverse, un trouble du Qi peut avoir des expressions psychiques.
Pour rappel le Sang (Xue) est une des formes matérielles du Qi.
Il est pour les chinois le support du Shen (l’Esprit).
En cas de vide de Sang, dans la logique de la MTC, le Shen peut avoir du mal à s’ancrer et l’on peut se retrouver par exemple avec des rêves envahissants, des difficultés de concentration ou d’endormissement, mais aussi, le Sang étant également le support du Qi, une asthénie, un petit appétit, de l’essoufflement etc…

Autrement dit, le tableau final qui se dessine n’est ni psychique ni corporel mais établit un état du Qi du patient.
C’est là la richesse de l’approche proposée par la MTC, qui offre la perspective d’une prise en charge globale des troubles.

Il va s’en dire que la parole du patient en MTC est très importante (la bouche est l’expression du Coeur) et dire nos maux participe à équilibrer notre Qi (c’est un mouvement d’extériorisation).*

Pour autant, en MTC, tout ne repose pas sur la verbalisation.
Le praticien, à partir de son bilan énergétique et ses outils (l’acupuncture notamment), cherchera plus largement à rééquilibrer globalement le Qi du patient.

Sous cet éclairage, la sentence tirée du chapitre 25 Su Wen prend toute sa dimension

« Toute acupuncture doit d’abord traiter l’esprit »8

C’est à dire qu’il n’y a pas de rééquilibrage véritable du Qi sans prise en compte du Shen (l’Esprit), non pas parce que le mental primerait sur le corps, mais parce que le Qi de l’individu c’est du corps et de l’esprit.

 

1 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dualisme_(philosophie_de_l’esprit)
2 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Antid%C3%A9presseur
3 : http://www.lachristite.eu/archives/2013/10/06/28161115.html
4 : 1 Cor 6 , 19
5 : Giovanni Macciocia, La psyché en médecine chinoise, Elsevier Masson, Issy-les-moulineaux, 2012, p4
6 : ibid, p6
7 : ibid, p8
* : Pour rappel les chinois considèrent qu’il y a 4 grands mouvements pour le Qi, l’ascension, la descente, l’intériorisation et l’extériorisation. Certaines « choses » doivent s’élever, d’autre descendre, d’autre être mise vers l’intérieur, d’autres à l’extérieur.
Des larmes qui ne s’écoulent plus causent un trouble à l’intérieur (défaut d’extériorisation), des larmes qui s’écoulent tout le temps sont le fait d’un trouble (défaut d’ancrage à l’intérieur)

8 : Nei Tching Sou Wen, traduction Jacques-André Lavier, Pardès, Puiseaux 1990, p152.