Dans son livre « Éloge de la plante, pour une nouvelle biologie », Francis Hallé s’attache à étudier la spécificité du végétal par rapport à l’animal.
Point de départ de son travail ce qui sépare les plantes des animaux, c’est d’abord une source d’alimentation en énergie différente.
Ici il n’est pas question d’énergie tel que comprise en Médecine Traditionnelle Chinoise, mais de l’énergie tel qu’elle est décrite en physique et qui dans le vivant va être libérée au cours du cycle de Krebs*.
Comme l’écrit Francis Hallé, l’énergie pour le vivant,
« ce n’est pas seulement pour fonctionner, c’est pour exister […] l’appropriation énergétiques est un impératif…« 1
Autrement dit une voiture sans carburant n’avance plus, mais un être vivant privé d’énergie n’est plus !
L’approvisionnement en énergie pour le vivant est donc essentiel et ce à plusieurs titres.
Hallé montre en effet que la source où le vivant va puiser sont énergie détermine sa manière d’être.
Comme chacun sait la source d’énergie des plantes c’est le Soleil.
La source d’énergie des animaux c’est un aliment ou une proie.
De cette différence découlent des stratégies de développement radicalement différentes. C’est là un des grands outils de distinction entre le végétal et l’animal.
Car comme l’explique Hallé, l’énergie solaire est omni présente, de haute qualité mais de flux faible, l’énergie alimentaire est de qualité médiocre, de flux puissant (il y a beaucoup d’énergie dans une proie, l’animal n’a pas besoin de se nourrir en permanence) mais cette source est à rechercher.
Il s’en suit que les plantes doivent principalement avoir de grandes surfaces externes et peuvent rester immobiles (les rayons du soleil sont partout, inutile de se déplacer, les animaux et le vent se chargeant de la dissémination), et que les animaux doivent avoir de grandes surfaces internes (intestins) et doivent être activement mobiles pour trouver leur nourriture régulièrement (une proie tombe rarement dans le gosier du prédateur ex nihilo) 2.
Ces fondamentaux sont extrêmement structurant notamment en ce qui concerne notre santé.
Car les hommes sont des animaux.
Nous avons à être en mouvement. Loin de la sédentarité de nos vies, de nos travails, nous sommes faits pour l’activité, pour le mouvement.
Et l’on pourrait dire à l’inverse de ce que certaines campagnes veulent nous faire entendre qu’il ne s’agit pas de manger et bouger mais de bouger et manger ou bouger pour manger.
Autrement dit il ne s’agit pas d’éliminer les excès par une activité physique, il faut réintégrer, favoriser le mouvement dans sa vie.
On retrouve là des échos de la MTC et de pratiques comme le Tai Chi ou le Qi gong qui vise à entretenir la santé en assurant la bonne circulation du Qi à travers la mise en mouvement du corps.
Pour un chinois il n’y a pas de bonne santé sans mouvement.
Ainsi prendre la mesure de notre animalité, s’est recoller à ces grands principes qui irriguent la MTC. Nous sommes mouvement.
Appendice
Cette rencontre entre la biologie et la MTC peut sembler abusive, mais elle n’est pas stérile.
Elle a le mérite tout d’abord de nous faire comprendre qu’il est nécessaire d’être actif, non pas du fait d’une recommandation (faites du sport), mais parce que nous sommes faits pour cela.
Elle offre ensuite et enfin pour les curieux la possibilité d’approcher la notion de mouvement dans la culture chinoise notion beaucoup plus vaste qu’une opposition animal/végétal.
En effet cette civilisation, nourrie par le taoïsme et le confucianisme, s’inscrit au cœur même de sa langue dans une idée qu’il n’y a pas d’être mais du devenir.
« Dans les traditions classiques de l’Occident, « être prend le pas sur « devenir » et « devenir », en fin de compte, devient alors irréel. Le devenir se réalise en arrivant à sa fin, c’est-à-dire en étant. Dans la civilisation chinoise, « devenir » prend le pas sur « être ». « Être » est alors compris comme un état transitoire caractérisé par des transformations à venir »3
Rappelons d’ailleurs que l’un des ouvrages majeurs de la pensée chinoise, c’est le Yi King, le livre des transformations.
Pour un chinois, tout est transformation, ou plus exactement tout est transformation du Qi.
« L’homme n’est qu’un moment dans la transformation universelle des choses »4.
« L’énergie se transforme en existant, puis l’existant se transforme en énergie… Naissances et morts ne sont que des mutations du Qi »5.
Mais sans doute est-ce là une autre histoire.
* Pour rappel, le cycle de Krebs est une série de réactions biochimiques qui ont pour but de produire des intermédiaires énergétiques qui permettront la fabrication d’ATP.
L’ATP «est la molécule qui, dans la biochimie de tous les organismes vivants connus, fournit par hydrolyse l’énergie nécessaire aux réactions chimiques du métabolisme » ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Ad%C3%A9nosine_triphosphate.
1 : Francis Hallé, Éloge de la plante, pour une nouvelle biologie, Éditions du Seuil, 1999, p41.
2 : Ibid, p 42 à 46.
3 : Giovanni Maciocia, La psyché en médecine chinoise, Elsevier Masson, Issy-les-moulineaux, 2012, note sur la traduction des termes médicaux chinois, p XIV.
4> : Nei Tching Sou Wen, traduction Jacques-André Lavier, Pardès, Puiseaux 1990, p22 Lavier citant Zhuangzi.
5 : Ibid, p 23, Lavier citant le Ling Shu.