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Ma maison est hantée ou comment rencontrer ce fantôme qui m’habite ? – Le « fantôme » en psychogénéalogie et en hypnothérapie – Partie 1

Des histoires de vie, de mort et de vie

 

« Il y a quatre générations, à la fin du 19e siècle, l’arrière-grand-mère découvre dans le petit bois à côté de chez elle, le corps de deux de ses trois enfants morts, dévorés par les loups. Les corps sont méconnaissables, déchiquetés.
A la génération suivante, le fils survivant devient boucher dans la grande tradition de cette profession. Il prépare sa viande avec art et ne supporte pas qu’une pièce soit mal découpée.
A la génération suivante, le fils aîné choisit le métier de tailleur pour hommes. C’est le spécialiste des costumes sur mesure.
A la génération de ma collègue, son frère est médecin. Plus exactement chirurgien. Et, dans cette spécialité, il a choisi la chirurgie plastique réparatrice et reconstructrice. Au sein de cette discipline, il préfère la partie reconstruction et devient un surdoué pour recoudre les traumatisés de la route ou à la suite d’un accident de travail. (…) Il exacerbe ses pulsions réparatrices en se désignant souvent de garde pendant les week-ends classiquement meurtriers.
Ma collègue, outre son attirance pour la psychosomatique, vit grâce à son commerce. Elle est propriétaire d’un magasin de prêt-à-porter. Ce n’est pas n’importe lequel : sur l’enseigne, nous pouvons lire « cuirs et peaux »1

Ce texte est tiré d’un livre de Salomon Sellam* dans lequel l’auteur développe une théorie utilisée en psychogénéalogie, le syndrome du gisant.

Dans le récit ci dessus, selon cette approche, le tropisme professionnel de la famille prise au sens large, c’est-à-dire dans le cadre transgénérationnel peut être compris de la sorte :
le clan « cherche » à réduire la peine de cette ascendante (l’arrière grand-mère) en réparant ce drame par l’activité professionnelle.
Le boucher découpe la viande en suivant des règles, le couturier et la vendeuse de cuirs fabriquent des « peaux » secondaires que l’on peut retirer ou porter, le chirurgien répare la peau à même le corps : tous s’inscrivent dans une tentative de réparation.

Dans cet exemple c’est dans le choix des professions qu’on retrouve un échos de l’histoire première, mais bien évidement les répétitions signifiantes peuvent être de natures diverses.

« C’est un cancer du poumon en cours de chimiothérapie qui l’a décidé à explorer son histoire psychosomatique. Son arbre généalogique est très parlant : son grand-oncle s’appelait Michel et est décédé d’un cancer du poumon. Son cousin Michel, fils de ce dernier, est décédé d’un cancer du poumon. Sa tante Michèle, la sœur de sa mère, est décédé d’un cancer du poumon. Lui, il reçoit le prénom de Michel à sa naissance… avec tout le programme transgénérationnel de décès par un cancer du poumon. (…)
Le projet/sens est le réceptacle ciblé des mémoires du clan. C’est à ce niveau que les relais se transmettent des cerveaux, automatiques, inconscients des parents au niveau automatique, inconscient de l’enfant. »2

Pour Salomon Sellam, ces personnes sont touchées par ce qu’il appelle le « syndrome du Gisant ».

Le Gisant

Le mot « Gisant » signifie : qui est étendu immobile. Ce terme s’emploie comme nom masculin pour désigner une statue représentant un mort étendu3. Il s’agit plus précisément d’une sculpture funéraire de l’art chrétien représentant un personnage couché sur le dos.

En psychogénéalogie, selon Salomon Sellam, le Gisant est celui qui abrite en lui un « Fantôme » transgénérationnel, un personnage familial à la vie hors norme ou au décès injustifié/injustifiable, qui revient plusieurs générations après son existence, afin de « coloniser » une partie (corps et/ou esprit) du descendant, de s’exprimer par lui, de vivre sa vie de Fantôme à travers lui.

Des signes cliniques nous permettent de poser le diagnostic de syndrome du Gisant.

Dans cette perspective, au cours d’une séance thérapeutique avec un Gisant potentiel ou avéré, le praticien doit tâcher de reconnaître qui parle, qui s’exprime, à travers ces paroles, le Fantôme ou le patient.
On notera généralement la récurrence de certaines phrases-clés :

« Je n’ai pas l’impression de vivre ma vie », « Je suis triste depuis toujours », « J’ai peur de vivre », « Je savais comment faire pour réussir ma vie, mais je n’ai pas pu le faire », « Je me sens spectatrice de ma vie, comme si on ne m’autorisait pas à la vivre pleinement », « C’est plus fort que moi, je fais des choses qui ne m’appartiennent pas », « Chaque fois que je vais avoir un plaisir, je me sabote l’existence, je ne m’autorise pas à avoir du plaisir », « J’ai des crises d’angoisse tellement fortes que je me dis que ça ne peut pas être moi », « A chaque fois que j’ai commencé une relation amoureuse, j’ai eu un accident et je me suis cassé quelque chose », etc.4

Dans le même ordre d’idées, pour Salomon Sellam, bien souvent le syndrome du Gisant se manifestera dans la stature, la mobilité du patient.
Ainsi le Gisant adopte « préférentiellement » une position fermée et immobile. Il peut par exemple dormir sur le dos, les bras croisés sur la poitrine.
Lorsqu’il fait la sieste, même longtemps, il ne bénéficie pas de la récupération de la fatigue qui l’avait occasionnée.

En faisant la sieste, le Gisant adopte en fait sa position de base et se coupe du monde.

Les indices pouvant permettre de postuler à un syndrome du Gisant sont nombreux.
Le Gisant s’habille souvent en noir, la couleur du deuil ( il peut souffrir d’une frilosité anormale, qui envahit toute son économie). D’ailleurs, il fuit la lumière, vit dans une atmosphère confinée, sombre, il ferme portes, fenêtres, volets (afin de ne pas déranger ou réveiller le Fantôme qui sommeille en lui). Le Gisant ne supporte pas le moindre bruit.

A travers ce concept, Salom Sellam, nous invite à revisiter les troubles du patient au travers du transgénérationnel.

Ainsi, Salomon Sellam, dans son livre, répertorie des pathologies pouvant être inhérentes à la qualité de Gisant.5

Une attitude de « rigidité cadavérique » peut être par exemple retrouvée à la suite d’une maladie invalidante ne permettant pas ou plus de bouger. Comme si, au quotidien, l’individu était comme obligé de mimer un Gisant.

Ainsi en est-il des manifestations organiques ou psychiques aboutissant à une diminution de la mobilité : paralysies, scléroses en plaques, myopathies, grands rhumatismes invalidants, alitements prolongés, comas, grandes insuffisances respiratoires, apnées du sommeil, morts subites du nourrisson
En psychiatrie, toujours selon Salomon Sellam, on peut inclure certains états dépressifs, les mélancolies, les bouffées délirantes, les autismes, les schizophrénies, les délires, les retards psychomoteurs, les catatonies, les catalepsies, les enfants ou les adultes dits hyperactifs (l’hyperactivité comme un déni ou un repoussoir à la mort).

Les troubles alimentaires, dans certains cas, présentent un lien avec l’existence d’un Fantôme transgénérationnel.
Certains surpoids inexpliqués représentent « une bouche de plus à nourrir ».

L’anorexique qui cherche à s’autosuffire, à construire sa sécurité dans une vaine et idéale autarcie, ou qui cherche à affamer celui ou celle qui se trouve à l’intérieur d’elle-même… La boulimique cherchant à apprivoiser le manque et l’absence par le plein et la présence excessive.
Remplir le vide de soi, vider le plein de l’autre, récupérer les limites de son corps, son corps comme contenant pour qu’il puisse avoir un contenu stable. Parfois jusqu’à se vomir soi comme on vomit l’autre…

On le voit, le syndrome du Gisant peut constituer une grille de lecture puissante pour analyser, comprendre, donner sens à un trouble.
Il faut toutefois veiller à éviter un certain systématisme.
Un patient dormant sur le dos les bras croisés n’est pas nécessairement hanté par une histoire transgénérationnelle.

Comme critère important on retiendra que le Gisant est triste, il ne s’autorise pas à prendre du plaisir. Il n’a ni le droit ni le devoir transgénérationnel de rire.
(Etre inconsciemment en deuil demande une certaine retenue).
Car le Gisant, on l’aura compris, est souvent celui qui porte en lui les séquelles d’un deuil bloqué chez un aïeul au niveau de l’étape de la tristesse.

« Quand un parent ne s’autorise pas à faire le deuil de quelqu’un de cher, il n’autorise pas ses propres enfants à le commencer et à le terminer. Ceux-ci sont pris dans une sorte de Fidélité Familiale Inconsciente qui ne leur permet pas d’avancer sur ce chemin, sans l’aval de leurs ascendants. »6

Autrement dit, le Gisant est souvent « dépositaire » de l’histoire du clan, et pour tenir ce rôle il accumule des objets ayant appartenu au défunt ou à la famille.
Parfois, il entame une psychogénéalogie…

A SUIVRE…

 

* : Au départ médecin généraliste orientation homéopathie et acupuncture (1983), Salomon Sellam s’intéresse aux influences de l’esprit sur le corps et se forme à la médecine psychosomatique (1995).
Il devient psychothérapeute à médiation corporelle et d’inspiration psychanalytique. En 1996, il s’installe comme psychothérapeute psychosomaticien.
Auteur de nombreux ouvrages depuis 2000, la publication du Syndrome du Gisant, un subtil enfant de remplacement, en 2003, représente un tournant dans sa carrière. Il décrit à partir de la clinique l’existence d’une entité sémiologique concernant les conséquences transgénérationnelles de drames familiaux avec une réparation inconsciente sur plusieurs générations.
Salomon Sellam se définit avant tout comme un clinicien à part entière et non comme un pur théoricien. La théorisation s’effectuera progressivement à partir de son expérience clinique.
1 : Salomon Sellam, Le Syndrome du Gisant, Éditions Bérangel, 2007, p 23-24
2 : ibid, p 36
3 : Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Robert éditeur, p.1584
4 : Salomon Sellam, Le Syndrome du Gisant, Éditions Bérangel, 2007, p 85-86-87
5 : ibid, p 90-91
6 : ibid, p 61