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Ma maison est hantée ou comment rencontrer ce fantôme qui m’habite ? – Le « fantôme » en psychogénéalogie et en hypnothérapie – Partie 2

Des histoires de crypte et de fantôme

Un abord plus analytique présente le Gisant comme celui qui abrite en lui une crypte (à fantôme).

Origine de la psychogénéalogie

Nicolas Abraham et Maria Torok sont considérés comme les pionniers de la réflexion en psychogénéalogie.
Entre 1959 et 1975, ils transforment la pratique de l’écoute en psychanalyse : ils portent leur intérêt vers les catastrophes, les hontes singulières qui entravent le travail d’ouverture psychique.
Seront ainsi inaugurés les concepts de secret de famille transgénérationnel, de deuil impossible, d’enterrement d’un vécu inavouable, d’incorporation secrète d’un autre, notions ayant toutes pour objectif la reconstruction d’un équilibre psychologique pour l’individu
. Pendant cette période seront écrits nombre d’essais regroupés sous le titre « L’Écorce et le noyau » et publiés pour la première fois en 1978.

C’est sur cette base, à partir de ce premier travail effectué par Nicolas Abraham et Maria Torok, que s’est développé le travail d’Anne Ancelin Schützenberger, inventeur du terme « psychogénéalogie » (Professeur émérite de l’Université de Nice, elle y dirige depuis 1967 les recherches du laboratoire de psychologie sociale et clinique, elle anime depuis des séminaires et des formations à travers le monde dans les cinq continents).
Dans les années 1970, Anne Ancelin Schützenberger commence à s’intéresser aux méthodes complémentaires de soins aux malades atteints de cancer et d’aide psychologique aux malades et à leurs familles.
Elle publie “Vouloir guérir” en 1985 et commence à soigner des malades atteints de cancer en phase terminale, dont certains vivent encore.
C’est là qu’elle fait le lien entre l’histoire familiale transgénérationnelle et le développement de certaines maladies.
Elle étend sa formation sur la clarification des liens transgénérationnels, les secrets de famille, la loyauté familiale invisible et les deuils non faits.
Anne Ancelin Schützenberger est l’auteur d’une douzaine d’ouvrages sur ces questions1.

Naissance de la crypte, un des concepts fondamentaux de la psychogénéalogie.

Dans L’Écorce et le noyau, Nicolas Abraham et Maria Torok théorisent le concept de crypte.

Pour rappel la crypte est un des éléments constitutifs des églises chrétiennes depuis le style carolingien, construit, enterré ou non, servant généralement de sépulcre, c’est-à-dire de tombeau.
L’étymologie du mot crypte (cacher) indique assez bien sa signification
.

Les premières cryptes ou grottes sacrées ont été taillées dans le roc ou maçonnées sous le sol, pour cacher aux yeux des profanes les tombeaux des martyrs. Plus tard, on éleva au-dessus de ces cryptes des chapelles et de vastes églises, puis on établit des cryptes sous les édifices destinés au culte pour y renfermer les corps des saints recueillis par la piété des fidèles.

En psychanalyse, la crypte peut d’abord désigner le souvenir d’un individu, souvenir enterré, enfoui dans son inconscient, sans rituel, en catimini, à son insu.
Ici, on n’enterre pas ce souvenir pour signer sa fin, mais pour attendre – espérer – sa résurrection.
Abraham et Torok précisent qu’il s’agit d’un souvenir précieux, « d’une idylle vécue avec un objet prestigieux »2.
Un premier objet d’amour ? Une période idéale primitive ?
Toujours-est-il que la fin de cette idylle, sa perte, aboutit pour le sujet à la constitution d’un traumatisme, douloureusement vécu, indicible, échappant au travail de deuil, autrement dit un traumatisme qui reste présent en soi.

Dans cette configuration, Abraham et Torok avancent que le sujet, pour tenter de préserver un peu de cette idylle disparaissant, n’a bien souvent d’autre solution que de cacher l’existence même de l’idylle dans les confins de son inconscient, afin d’en occulter la perte.

L’idylle, en lieu sûr, n’est ainsi pas tout à fait perdue…

Reste un traumatisme sans histoire, sans perte prenant le pas sur ce qui a dû être occulté.

Ainsi, de génération en génération, l’idylle disparaît, laissant la place à un non-dit, un secret, l’ombre d’un traumatisme sans nom.
Il pourra en être ainsi des interdits, des tabous, des histoires honteuses devenues cachées, des ancêtres bannis devenus parias du système familial.

« Ceci aboutit à l’installation au sein du moi d’un lieu clos, d’une véritable crypte », « sorte d’anti-introjection » [elle ne peut être intégrée, symbolisée], que l’on peut nommer « inclusion ». (elle est juste présente) 3

De cette crypte peut émerger un « fantôme »

En psychogénéalogie, le « fantôme » désigne un secret non révélable du sujet ou un ancêtre (à réhabiliter) qui hante le système familial.

Terme générique pour signifier l’absence ou l’absent, rendus présents à travers le mot même de fantôme, ce dernier peut englober aussi bien un lieu, qu’un événement, une situation, une personne, une valeur, une idée, une période, etc.

Le fantôme est là pour dire que la perte, le traumatisme, a pris le pas sur « l’idylle », c’est-à-dire sur l’avant perte.

Que reste-t-il de la période d’avant l’accident de vie ?
La non intégration des cassures, des coupures, ne permet pas la continuité. Dans la mémoire du clan, seuls les non-dits relatifs aux accidents restent en surface.

Ainsi, pour peu que l’individu ait des parents « à secrets », des parents qui laissent transparaître de l’événement non classé, de l’émotionnel non décrypté, qui parle à leur insu, et qui a été véhiculé déjà par les générations précédentes, ces parents ci pourront lui transmettre une lacune dans l’inconscient même, un savoir non su, l’objet d’un « refoulement ».
Le non-dit finit par circuler, avec son cortège de mal-être inhérent, sans que l’on puisse retrouver jusqu’à la trace première de son origine.

« Le dire enterré d’un parent devient chez l’enfant un mort sans sépulture »4

Ce fantôme inconnu revient alors depuis l’inconscient et exerce sa hantise, en induisant phobies, folies, obsessions. Son effet va ainsi jusqu’à traverser des générations et déterminer le destin d’une lignée. C’est là que l’on peut trouver certains spécimens de Gisants.

Comment le sujet peut il être habité par sa crypte?

« L’ombre de l’objet », le fantôme, ne cesse d’errer autour de la crypte jusqu’à « prendre possession » de la personne même du sujet.
On assiste à un retournement objet/sujet, l’objet finit par porter le Moi pour masque et le sujet est comme agi, animé par le fantôme.

Il s’agit là d’une identification occulte et imaginaire, d’un cryptophantasme, qui porte non pas seulement sur un objet qui n’est plus, mais essentiellement sur le « deuil » que mènerait cet « objet » à propos de la perte du sujet.5

Le sujet, par exemple, plutôt que de pleurer la séparation d’avec sa mère, la disparition d’avec la bonne mère maternante et fusionnelle des premiers temps, va opérer un retournement, il va mettre en scène mentalement la mère qui pleure la disparition de son enfant, lui, ramené à l’état de bébé, de nourrisson, il va jusqu’à ressentir la détresse de sa mère qui le pleure, il pourra aussi étendre ce fantasme jusqu’à se laisser déborder émotionnellement par toutes les histoires, romans, faits divers, relatant des pertes d’enfants.

Ce mécanisme qui consiste à échanger sa propre identité contre une identification fantasmatique à la « vie » d’outre-tombe de l’objet, perdu sous l’effet d’un traumatisme, se nomme « identification endocryptique »6

Le Je, c’est-à-dire l’identité première de l’individu, est fragilisé par le Moi fantasmé de l’objet perdu qui influe sur sa manière d’être.
C’est un fantasme d’empathie identificatoire : la souffrance imaginaire de l’objet endocryptique est un fantasme qui ne fait que masquer la vraie souffrance, inavouée celle-là, d’une plaie, que le sujet ne sait comment cicatriser.

Le sujet est habité par sa crypte, il peut développer des pathologies de mélancolie, de fétichisme, de névrose d’échec, etc., ainsi que bon nombre de symptômes psychosomatiques. Il peut devenir un Gisant.

Peut-on ouvrir sa crypte ?
Un exemple : La clé de l’approche psychanalytique

« Lorsque le thérapeute aura pu signifier qu’il n’est pas sourd à ce mode d’être, peu à peu, l’inclusion cédera la place à un vrai deuil qui a pour nom l’introjection »7

Introjecter un désir, une douleur, une situation, c’est les transformer par le langage, c’est repasser par l’expérience de la bouche vide.
Les tous débuts de l’introjection ont lieu pour le bébé grâce à des expériences du vide de la bouche, doublées d’une présence maternelle.
Il y a à la fois un manque, une bouche vide, et en même temps une présence suffisamment rassurante pour faire avec ce manque.

Ce faire face au vide se manifeste d’abord via des cris, des pleurs, qui sont reçus par la mère bienveillante. Puis l’enfant, suffisamment accompagné, apprend à remplir de mots ce vide de la bouche.

C’est par cette expérience que doit repasser le gisant dans la perspective analytique

Il existe de nombreuses clés permettant d’ouvrir la crypte et de libérer le fantôme.
Des thérapies de fond comme la psychanalyse qui, à travers les chemins de la relation thérapeutique, permettra au patient de se libérer du trouble fantasmatique et d’affronter le traumatisme premier.
Des thérapies plus brèves telles que la psychogénéalogie et l’hypnose (on peut citer également le psychodrame, le jeu de rôle, les constellations familiales) qui permettront de revisiter autrement l’inconscient.

La crypte, le fantôme et le possédé

Dans « Psychogénéalogie », Anne Ancelin Schützenberger explique qu’il est rare de trouver une famille n’ayant pas son ou ses secrets, ses non-dits et sujets tabous implicites, ainsi que ses « mauvais sujets » qu’on n’invite plus ou qu’on évite.

« Les secrets de famille sont des sujets brûlants dont on se débarrasse au plus vite et qu’on fait passer de main en main, chaque main se brûlant au passage, de génération en génération. Ils créent un clivage de la personnalité : une partie qui sait et une partie qui ne veut ou ne peut rien savoir. C’est comme un traumatisme en retour, en ressac, une plaie ouverte qui a besoin d’être mise au jour et débridée, une plainte qui se veut écoutée, entendue et vue, prise en compte, voire soignée, étayée et contenue par un vrai soutien thérapeutique « contenant », un holding (Winnicott le définit comme la capacité de « contenir » les émotions trop fortes du sujet et d’empêcher un effondrement total et dangereux de la personne. Le patient doit se sentir soutenu dans un espace où il se sent en totale sécurité) »8

Pour Nicolas Abraham, c’est comme si quelqu’un d’autre s’exprimait par la bouche du sujet, tel un ventriloque. Il semble comme possédé par un fantôme portant un lourd secret de famille caché, émergeant d’une crypte à l’intérieur d’un descendant, pour se manifester soit physiquement, soit psychiquement, afin de se faire entendre.9

Pour illustrer cette forme de « possession », Anne Ancelin Schützenberger évoque le thème ancien du conte juif russe du Dibouk.
Le Dibouk… sera l’un des sujets de notre prochain article.

A SUIVRE

 

1 : http://www.anneschutzenberger.com/
2 : Nicolas Abraham et Maria Torok, L’écorce et le noyau, 1978, Champs essais Flammarion, p.297 « L’objet perdu-moi », Notations sur l’identification endocryptique.
3 : Ibid, p 297
4 : Ibid, p 297, note 1
5 : Ibid, p 298
6 : Ibid, p 298
7 : Ibid, p 315
8 : Anne Ancelin Schützenberger, Psychogénéalogie, 2007, Payot, p 34-35
9 : Ibid, p 34-35